Le Temps (02/2017)

 

Les Français Métilde Weyergans et Samuel Hercule détournent avec bonheur les contes de notre enfance. Leurs spectacles embobinent, à l’image d’ « Udo, complètement à l’Est », à l’affiche du Théâtre de Vidy jusqu’à samedi. Paroles de lunaires

Elle fait si bien la méchante qu’on a hâte d’être griffé par elle. Il fait si bien le candide qu’on est sûr d’être consolé par lui. Elle, c’est Métilde Weyergans. Son prénom est un roman stendhalien – elle est fille de l’écrivain François Weyergans. Lui, c’est Samuel Hercule. Ce patronyme sent le cirque d’antan, les cuivres qui s’époumonent, le dompteur qui glisse un visage écarlate dans la gueule du tigre.

Ces deux s’aiment à la ville, s’harmonisent à la scène. Leurs spectacles sont des contes à rebours des morales cousues de fil d’or. Ainsi leur étourdissant «Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin» il y a trois semaines au Théâtre de Vidy. Ainsi encore «Udo, complètement à l’Est», histoire rêvée du père de Blanche-Neige, à l’affiche au même endroit jusqu’à samedi.

Les frères Grimm corrigés

Leur sortilège? Faire du cinéma la matière de leur théâtre, avec dans l’œil la ruse des frères Lumière. Dans «Blanche-Neige», ils projettent un film muet – qu’ils ont tourné eux-mêmes dans une cité – où revivent la marâtre, sa belle-fille, le prince charmant et les sept nains. Métilde fait toutes les voix féminines en direct. Samuel bruite l’intrigue; trois musiciens formidables électrisent la féerie. Cette façon de faire vaut à leur Cordonnerie – nom de la compagnie – de sillonner la France, de traverser les océans: l’an passé, ils ont corrigé les frères Grimm près de deux cents fois.

Blanche-Neige dans une cité

Mais les voici, dans la rumeur du foyer de Vidy, encore tout chose d’avoir brisé le miroir de la belle-mère. Avec sa veste sportive aux couleurs du Brésil, il fait penser à un joueur de football après la douche. Avec sa robe à motifs géométriques, sa sveltesse farouche, elle sort de «La Règle du jeu» de Renoir. On leur demande comment ils machinent leurs pièces. «On venait de faire un spectacle à partir de «Hansel et Gretel», raconte Samuel. Et on avait envie de poursuivre avec les frères Grimm. Dans «Blanche-Neige», on était intéressé par ce mur symbolique entre Blanche et sa belle-mère.»

On imagine alors. Métilde et Samuel turbinent sur le divan. Ils se racontent des bobards comme si l’Alice de Lewis Carroll rencontrait Geppetto, le père de Pinocchio. Le Mur de Berlin se dresse soudain au milieu de leurs conversations, comme le symbole d’un maléfice qu’on croyait immuable. Elle: «Entre nous, c’est un ping-pong.» Lui: «Comme nous sommes un couple, nous avons des séances de travail permanentes.»

Un scénario se dessine qui intègre la liesse de la Chute du mur. Un casting s’organise pour dénicher la Blanche de leur rêve. Puis le film se tourne dans un quartier, dont la seule grâce est le nom, le Château. Le compositeur Timothée Jolly conçoit une partition cavaleuse. Deux ans glissent ainsi, de fil en aiguille. Puis le spectacle sort de sa boîte, joueur jusqu’à être ensorcelant.

Lire la critique: Blanche-Neige enfin démasquée à Vidy

Leur rencontre est aussi une histoire de cinéma. Samuel Hercule et son complice Mike Guermyet signent «Le Principe du canapé» – vous noterez le titre. Ils envoient leur court-métrage au Festival de Cannes. Métilde y travaille, elle est chargée d’annoncer à Samuel que l’opus est sélectionné dans une section parallèle. O miracle des voix, quand elles sont pénétrantes. Ils s’embobinent bientôt sur la Croisette. C’est ainsi que commencent souvent les histoires d’amour: on est embobiné et on jouit de l’être.

Bérénice à bicyclette

Son timbre grave de Bérénice à bicyclette, c’est ce que Métilde apporte à la Cordonnerie, cette compagnie que Samuel a fondée à la fin des années 1990 à Lyon. Jusqu’alors, il brillait dans ce qu’on appelle le ciné-concert: il projetait ses films dans des bistrots enfumés, égayés par des musiciens. Mais d’où viennent-ils, ces deux lunaires?

Lui a grandi à Lyon. Sa chambre d’adolescent est mouchetée de grosses fleurs brunes, raconte-t-il. Il écoute Noir Désir, se verrait bien chanteur comme Bertrand Cantat – son père est professeur de guitare. Mais des camarades l’entraînent sur les planches. «A 17 ans, je n’avais pas de doute sur ce que je voulais faire de ma vie, je savais que je serais acteur.»

Et elle, Métilde, comment était-elle, adolescente? «J’habitais à Paris dans le XIe. A 15 ans, j’avais une grande chambre peinte en bleu par ma mère. Je me revois, les murs étaient nus, je lisais à voix haute des tragédies de Racine, le monologue de Phèdre et je pleurais. J’étais réservée et assez solitaire. J’avais grandi très vite, à 12 ans je faisais 1,75 m, ça explique peut-être cette réserve qui était la mienne. J’écoutais beaucoup de musique, de la pop et de l’opéra, ce que mes parents écoutaient.»

Jorge Donn, un parrain fauve

Est-ce parce que son père, François Weyergans, l’entraîne dans les coulisses des spectacles de Maurice Béjart, dont il est le meilleur ami et le confident? Ou parce que Jorge Donn, ce fauve de la danse, ce héros béjartien par excellence, est son parrain? Ou parce qu’elle tombe amoureuse d’un ardent qui ne jure que par Le Cid? Métilde prend des cours de théâtre, avec la bénédiction de François et de sa mère Danielle, «une intellectuelle manuelle.» La suite, on la devine: des boulots de bohème, le plaisir de la plume parfois pour des journaux divers, «Le Nouvel Observateur», «Libération» etc. Et puis la vie qui s’élargit quand elle devient mère.

A présent, Métilde s’enhardit: «J’aime faire la méchante, j’adore les méchantes qui ne le sont pas vraiment.» Samuel, dans un parfait contre-pied, glisse: «J’aime jouer les naïfs.» Vous pourriez les écouter parler jusqu’aux douze coups de minuit, elle des livres de son père, ces fugues distinguées; lui de Marguerite Duras et de Pluie d’été qu’il a si souvent offert. Il est bon d’être embobiné par deux esprits malins.

Vendredi 10 février 2017.