Le Petit Bulletin (06/2016)

 

Une Blanche Neige détricotée et malaxée par La Cordonnerie

Extraite du conte, Blanche Neige se cogne au réel. Et comme toujours avec le talent de la compagnie la Cordonnerie, cela fait du bruit ; ou plutôt des bruitages, magnifiquement pensés et réalisés. Bienvenue au royaume ainsi nommé « par des architectes qui n’avaient pas peur du ridicule » car, très loin de l’univers parfois inquiétant mais toujours enchanté de Disney, celui-ci est fait de béton. Gris. Depuis qu’il a monté la Cordonnerie en 1997, Samuel Hercule — avec Métilde Weyergans qui l’a rejoint en 2003 — détricote les hits des enfants. Ali Baba, Barbe Bleue, Hansel et Gretel (à la Croix-Rousse à Noël prochain) passent à la centrifugeuse de ces deux artistes pour être transformés en objet vidéo et sonore.

Un film projeté en fond de scène montre cette gamine « qui n’est pas blanche comme neige » en lutte avec sa mère, 42 ans, hôtesse de l’air, élevant mal an mal an une ado gothique mâchant du chewing-gum, casque vissé sur les oreilles, préférant fuguer dans la forêt que rester dans sa cité. Que fait le bruit des feuilles mortes sous les pas de Blanche ? Celui des bandes magnétiques de cassette audio froissée ! Tout l’environnement sonore ainsi que les doublages voix se font à vue ; comme le travail très rythmé du trio de musiciens.

PÈRE PERDU

Cette recette bien connue de la compagnie fonctionne ici encore à plein sur les adultes et les enfants. Qu’importe si ces derniers ne comprennent pas forcément le parallèle fait avec la chute du mur de Berlin annoncée par la radio, conduisant parfois à des raccourcis : pourquoi si les Allemands sont parvenus à faire tomber cette frontière, se maintiendrait-elle entre la fille et la belle-mère ?

La grande force du travail de Hercule et Weyergans est leur ingéniosité et cette capacité à mettre tous les artifices du théâtre au service de l’immersion du spectateur dans l’intrigue, jouant par exemple d’une bascule de son selon que Blanche Neige porte ou non son casque audio. Rien des grands marqueurs de ce conte n’a échappé à la Cordonnerie : le miroir révélateur de vérité, les nains, les pommes. Mais tout est malaxé, beaucoup moins manichéen et, in fine, plus épatant que l’histoire originelle.

Poly (02/2010)

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