Sur la scène du Théâtre des Abbesses, Blanche-Neige prend un coup de frais
« Mon rôle dans cette histoire, c’est celui de la méchante. Mais, justement, tout ce qu’on vous a raconté est faux. Et j’en connais une qui n’est pas blanche comme neige. Personne ne m’a jamais demandé ma version des faits. Eh bien, puisque vous êtes là, je vais vous la donner », annonce d’emblée la marâtre. Nous voilà prévenus : l’histoire de Blanche-Neige prend un sérieux coup de frais et de neuf, dans cette version réjouissante que propose la compagnie La Cordonnerie, au Théâtre des Abbesses, à Paris, pendant toute la période des fêtes.
Réjouissant, Blanche-Neige ou La Chute du mur de Berlin l’est d’abord par sa manière de récrire le mythe. Nous voilà à la fin des années 1980, dans une tour de la région parisienne, au milieu d’un ensemble HLM pompeusement nommé le Royaume. Elisabeth, la quarantaine, hôtesse de l’air, élève seule sa belle-fille Blanche, une adolescente invivable comme on peut l’être à cet âge.
La jeune fille a perdu sa mère à sa naissance, et son père, véritable homme de l’air, a disparu en Russie quand elle avait 6 ans, au moment où il a été appelé pour devenir le trapéziste en titre d’un célèbre cirque de Moscou. Alors Blanche est restée avec Elisabeth. Quand commence toute cette histoire, elle a 15 ans, un look gothique, un prince charmant qui s’appelle Abdel, des velléités d’indépendance, et le mur de Berlin n’est pas encore tombé.
Théâtre, cinéma et musique
Dans la Blanche-Neige de Métilde Weyergans et Samuel Hercule, les deux animateurs de La Cordonnerie, la maison au cœur de la forêt est une tente de camping plantée par l’adolescente en fugue, Simplet, Grincheux et compagnie sont des nains de jardin, et le fruit empoisonné se transforme en une caisse de pommes d’amour envoyée par le père lointain à sa fille pour ses 16 ans, pommes dont elle fait une indigestion… Quant au miroir magique, il est bien là : un vrai miroir, celui de la salle de bains de l’appartement HLM et qui, lançant ses sentences de sa voix grondante, fait office de chambre d’écho aux fantasmes de la belle-mère et de la belle-fille.
LE CONTE JOUE PARFAITEMENT SON RÔLE, QUI EST DE METTRE À DISTANCE LES PEURS, LES FANTASMES, LES CONFLITS FAMILIAUX
Réjouissante, cette Blanche-Neige l’est aussi par la façon de la raconter, cette histoire. Comme dans tous ses spectacles, La Cordonnerie mêle joyeusement théâtre, cinéma et musique. Les images filmées de la vie d’Elisabeth et de Blanche sont doublées et bruitées en direct sur le plateau par Samuel Hercule et Métilde Weyergans. Ce mélange entre le bricolage artisanal du théâtre et l’image animée produit toujours de la poésie, et il est ici particulièrement juste, en permettant de jouer sur un réalisme légèrement décalé, dans lequel vient s’inscrire du merveilleux et de l’irrationnel, comme dans nos vies.
Du coup, le conte joue parfaitement son rôle, qui est de mettre à distance les peurs, les fantasmes, les conflits familiaux. Voilà, en somme, la leçon, si joliment formulée, de ce spectacle : il est toujours possible d’abattre les murs de Berlin qui se construisent dans toutes les familles – et toute famille, du reste, n’est-elle pas une éternelle recomposition ?
« La méchante, c’est moi », déclare Elisabeth, la fameuse belle-mère dans Blanche-Neige. Après la parole donnée au père, nommé Udo, dans le premier volet de cette réécriture, c’est à son tour de s’exprimer et de donner sa version des faits. Elle raconte comment elle a élevé Blanche, seule, alors que l’enfant n’avait que 6 ans. Dans la plus haute tour du « Royaume », une cité HLM, la petite a grandi : elle a 15 ans, elle est gothique et révoltée… La compagnie de la Cordonnerie réinvente tout, plaçant cette célèbre histoire dans un quotidien de vie, où l’on voit s’élever des murs entre les êtres sans que l’on y prenne garde, où ces mêmes murs tombent parfois, comme le mur de Berlin en 1989, réunissant ceux qui s’aiment. Métilde Weyergans et Samuel Hercule, accompagnés sur scène de deux musiciens, sont les acteurs, bruiteurs du film muet qu’ils ont écrit et réalisé. C’est profond, magique, drôle et bouleversant. Un ciné-spectacle à voir toute affaire cessante.
Blanche Neige ou la chute du mur de Berlin
Quand la marâtre, pas si marâtre donne son point de vue
Pour Métilde Weyergans et Samuel Hercule, fondateurs de la compagnie lyonnaise La Cordonnerie, les contes sont un riche gisement qui leur permettent de métisser les publics, les arts, l’intime et l’universel, la réalité et la fiction, de soulever par la bande quelques préoccupations actuelles à travers de réjouissantes et singulières chimères scéniques greffées de théâtre, cinéma, musique, bruitages, à regarder au coude à coude, grands et petits.
Après avoir mitonné Hansel et Gretel à la sauce libérale, le duo s’empare de Blanche Neige qu’ils revisitent en mettant l’histoire dans la vie quotidienne du Berlin-Est de la Guerre froide et en donnant la parole à celle qui dans le conte interroge son miroir et empoisonne les pommes et à qui personne n’a jamais demandé sa version des faits. « J’ai quarante-deux ans et mon rôle dans l’histoire, c’est celui de la méchante » nous dit Elisabeth, hôtesse de l’air qui élève seule Blanche sa belle-fille, dont la mère est morte quand elle était au berceau et dont le père, trapéziste, est parti depuis des années pour travailler dans un cirque en URSS. Elles vivent au dernier étage d’une cité HLM située à l’orée d’un bois. Nous sommes en 1989 et Blanche est une belle et rebelle ado, enfermée dans son monde qui regarde la vie et sa belle-mère en faisant des bulles de chewing-gum, son walkman collé aux oreilles, fugue dans le bois voisin où elle installe sa tente. Quant à Elisabeth, lorsque rentrant harassée, elle se regarde dans le miroir de la salle bain, décelant quelques griffes du temps, comment ne lui entendrait-elle pas lui dire que Blanche, joli papillon tout juste sorti de sa chrysalide, est bien plus belle qu’elle !….
Accompagnés en direct par deux musiciens virtuoses poly-instrumentistes (Florie Perroud et Thimothée Jolly), Métilde Weyergans, Elisabeth et fil conducteur de l’histoire, Samuel Hercule aux bruitages et aux voix masculines interprètent en scène le film muet qu’ils ont écrit et réalisé, secondés par d’excellents acteurs, notamment Valentine Cadic dans le rôle de Blanche. L’histoire filmée et la scène se conjuguent étroitement en un « ciné-spectacle » sous haute tension, bourré de trouvailles sonores et visuelles, tissé d’art et de bricolages, d’humour et de subtilité. Un spectacle total, drôle et à fleur d’humanité, qui nous parle de l’abandon, des difficiles relations mère-fille et des murs qui s’érigent entre les êtres si on n’y prend pas garde. À voir de 8 à 108 ans ! Après Paris, le spectacle sera présenté en tournée, ne le ratez pas, il vaut le détour.
C’est l’histoire d’un couple de petits « vieux », magiciens immigrés russes virés du petit écran parce qu’ils ont fait leur temps. Nous sommes dans les années soixante-dix, avec des grands cols de chemise et des tricots Jacquard marron-beige, Pôle emploi ne s’appelle pas encore comme ça mais la crise économique commence à produire ses effets sur la courbe du chômage… C’est l’automne et Jacob, le fils du vieux couple, sans boulot et sans le sou, a bien du mal à nourrir ses saltimbanques retraités imprévoyants de parents. Quand la belle et mystérieuse Barbara (derrière ses grandes lunettes noires) entre dans la vie de Jacob, elle a une solution simple : conduire les vieux au fond des bois et les abandonner. Le célèbre conte des frères Grimm revisité, à la sauce rude d’une société libérale sans pitié pour les à assistés . Comme à son habitude, Métilde Weyergans et Samuel Hercule fabriquent le film de leur histoire et proposent ensuite un ciné-concert d’un genre trés particulier puisqu’ils ajoutent à la musique et aux bruitages en direct sur la scène une dimension théatrale essentielle.
La synchronisation entre les images et le son est tellement parfaite que certains enfants ont mis du temps à réaliser que tout ce qu’ils entendaient provenait directement de la scène et non pas de l’écran. La Cordonnerie pousse la perfection jusqu’à répandre des effluves sucrés dans la salle, au moment où Hansel et Gretel découvrent la maison en bonbons de la sorcière… Mais au-delà de la maitrise impressionnante du langage du ciné-théàtre, il y a l’univers de la compagnie. La Cordonnerie a l’art de raconter les pires travers de l’humanité avec le charme et la délicatesse des atmosphères surannées, glissant de la poésie dans toute chose, ne laissant rien au hasard. Sans oublier un casting d’une justesse remarquable (qui ne voudrait pas adopter ce petit couple âgé, tendre et facétieux ?).
En images et en musique, « Hamlet » comme vous ne l’avez jamais vu.
Un spectacle souvent drôle, ludique, et passionnant, qui facilite l’accession au chef-d’oeuvre de Shakespeare.
Avec son langage parfois cru et ses histoires entrecroisées, « Hamlet » n’est pas fait pour toutes les oreilles. En tout cas, pas dans le texte original qui, au début du XIXe siècle, a inspiré Charles Lamb et sa sœur Mary, auteurs de « Contes d’après Shakespeare », version édulcorée des grandes pièces. Ici, il n’est plus question d’Ophélie, des comédiens et des rôles secondaires. L’action se concentre sur Hamlet, super-héros vengeur d’un régicide qui a placé son oncle sur le trône du Danemark.
Créateurs de spectacles musicaux et cinématographiques, Samuel Hercule et Métilde Weyergans se sont emparés de ce digest (1 h 15 au lieu des 4 heures habituelles). En amont, ils ont tourné un film, muet et en couleur, dont les images nous projettent dans un château en ruine au bord de l’océan. Les costumes militaires suggèrent une dictature filmée par Almodovar. Les deux maîtres d’œuvre incarnent lui, le Prince, elle la Reine, Philippe Vincenot, Claudius.
Les images défilent sur le fond de scène du Théâtre de la Croix-Rousse, devant les quatre protagonistes. Deux musiciens, un pianiste et une percussionniste, réalisent un habillage sonore séduisant, entre jazz et musique minimaliste. Samuel Hercule et Métilde Weyergans prêtent leur voix aux personnages et « bruitent » le film avec des objets improbables. C’est souvent drôle, toujours intelligent, plein d’astuces. Loin d’être un ersatz d’« Hamlet », ce spectacle réconcilie petits et grands autour d’un grand mythe.
Hansel et Gretel
Une petite merveille
La Cordonnerie est une compagnie de théâtre qui produit des ciné-spectacles. Et qui raconte des contes avec le cinéma et le théâtre. Après Ali Baba et les 40 voleurs, la compagnie récidive cette année avec Hansel et Gretel. Le conte est totalement respecté, à la différence qu’ici, Hansel et Gretel sont les parents, magiciens à la retraite, de Jacob. Jacob, jeune chômeur pris sous le charme d’une inquiétante et mystérieuse femme…on ne vous en dit pas plus. A part que les parents coûtent cher à nourrir et que cette mystérieuse femme n’est pas très fréquentable. Le renversement par rapport au conte des frères Grimm du rapport parents-enfant offre d’ailleurs au spectateur des pistes de réflexion fort intéressantes.
Donc, sur scène, deux acteurs musiciens (Metilde Weyergans et Samuel Hercule), et deux « seulement » musiciens (Timothée Jolly, également compositeur, et Florie Perroud), et sur l’écran un film. Et c’est Hansel et Gretel, merveilleusement filmé, à la fois complètement contemporain et comme inscrit dans un temps de rêve cinématographique, un temps de technicolor des années 60.
Et le film est prenant, drôle, émouvant. Il fait peur par moments, la sorcière est inquiétante (interprétée par Metilde Weyergans), Jacob est fragile, naïf, sensible, ses parents, que l’on imagine Juifs Russes immigrés, touchants d’amour. On pense à Jacques Demy, à Jacques Tati, au Magicien d’Oz (un Magicien d’Oz inversé, où la fiction serait en noir et blanc et le réel en couleur), et plus secrètement, au rare film de Jean-Daniel Pollet, L’Acrobate. Couleurs travaillées, précision du cadre, bonheur de l’histoire, tout y est. Et en même temps que le film, muet, une musique jouée en direct, inventive, séduisante, et tous les bruitages, tous les dialogues, toutes les musiques (Ah là là ! tous ces chouettes instruments sur scène…). Pas besoin de bande-son, qu’on piétine d’ailleurs allégrement, elle est là, en train de se faire sous nos yeux. Des dizaines d’accessoires, des bidules, des trucs tout simples, des sacs plastiques, un bac à tortue, des micros, et tout naît devant nous, dans le plaisir de l’invention.
Nous sommes à la fois dans l’histoire et dans la fabrique de l’histoire. Dans la fiction et la fabrique de la fiction. Et tout est beau, très précisément éclairé, le lien se faisant constamment entre la scène et l’écran. Un seul exemple : lorsque, dans le film, les parents retrouvent le chemin de leur maison, grâce à des vers luisants, la scène s’éclaire aussi de petites lumières vertes.
Le risque avec ce genre de spectacle, très contraint par la temporalité du film, c’est que la représentation devienne froide, technique. Mais ici, l’humain reste constamment présent. Non, ce n’est pas une simple séance de bruitage à laquelle nous assistons, mais à un spectacle. Changements de voix, jeu d’accessoires, rapport des comédiens à la réalité du film, tout vibre, tout est surprenant, inventif, et, n’ayons pas peur des mots : poétique.
Alors, de deux choses l’une : soit vous arrivez à prendre les quelques places qui restent pour les représentations tout public, soit, si c’est plein, habillez-vous en culotte courte, marchez sur les genoux, prenez une petite voix et faufilez-vous dans les représentations scolaires. Vous ne le regretterez pas.
La Rampe
Avec « Hansel et Gretel », la compagnie de la Cordonnerie a présenté un superbe ciné-spectacle.
Mardi soir, c’est un public mixte et très nombreux qui est venu découvrir la version de « Hansel et Gretel » de la compagnie la Cordonnerie. Cette dernière spécialiste du ciné-spectacle, a suivi fidèlement le procédé de fabrication des spectacles qu’on lui connaît : dans un premier temps, Samuel Hercule et Métilde Weyergans adaptent une pièce, un mythe ou un conte dans une version moderne et poétique puis réalisent un film sans prise de son. De son côté, Timothée Jolly compose la musique originale du spectacle.
Le film est ensuite projeté et accompagné en direct par les musiciens, acteurs et bruiteurs de la Cordonnerie. Ils créent sur scène « la bande sonore » qui accompagne l’action pendant la projection. Les deux univers – celui du film et de lui de la scène – se croisent et se font écho pour donner vie à cet étrange objet scénique : le ciné-spectacle.
Pour ce « Hansel et Gretel » revisité, les quatre artistes présents sur scène ont impressionné par la précision et la qualité des bruitages, la technique et l’interprétation musicales, ainsi que la calage des dialogues ou encore leur qualité de chanteurs…
Ce spectacle est une vraie petite merveille, qui a séduit les petits mais aussi, et peut-être même davantage, les grands.
Speed « Hamlet »
« Hamlet » pour des enfants à partir de 8 ans ? Le « Hamlet » de Shakespeare ? Vous plaisantez ? Cette pièce sombre et philosophique sur la difficulté d’être qui parle de meurtres en famille et de suicide ? Eh bien non, on ne plaisante pas ! Ou plutôt si : la compagnie La Cordonnerie a pris ce risque fou avec tout ce qu’il faut pour le réussir : de l’humour, de la légèreté, du professionnalisme, de l’intelligence et… des frissons !
La compagnie La Cordonnerie n’en est pas à son premier essai. Elle s’est même donné pour spécialité la réalisation de spectacles destinés au public le plus large possible et rigoureusement multiforme. Inclassables, il sont à la fois (comprenons-nous bien, ils n’« utilisent » pas) du cinéma, du théâtre et de la musique. Et ils ne s’interdisent aucun répertoire, pas plus qu’ils n’édulcorent le propos. Cette fois-ci, donc, c’était Hamlet. Mais en une heure. Light, donc : du célèbre texte élisabéthain ne subsistent que quelques phrases – « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark » ou « être ou ne pas être », les principales, aren’t they ? – et quelques vers « maison » pour l’ambiance, qui font rimer malade avec salades.
Les auteurs metteurs en scène Métilde Weyergans et Samuel Hercule s’offrent quelques libertés, fort drôles, avec le maître : la fin qui se joue sur une plage avec le corps du roi félon traversé de part en part par une épée et qui continue à courir sur le sable comme une vulgaire poule décapitée… Gertrude qui choisit délibérément de boire la coupe de poison à la place de son fils, concession à la sensibilité du jeune public peut-être… Ou Ophélie qui part au couvent au lieu de terminer dans la rivière, laissant possible un éventuel happy end… Mais l’essentiel est là : Shakespeare pour être adapté n’est jamais trahi.
L’imagination au pouvoir
L’histoire, avec les personnages incarnés par des acteurs – Samuel Hercule dans le rôle-titre, Métilde Weyergans dans celui de Gertrude, sa mère, et Philippe Vincenot déjà double puisqu’il incarne à la fois le roi félon et fratricide et le roi assassiné, son fantôme en tout cas –, a été tournée préalablement et nous est projetée. C’est donc un film, en couleurs certes (même si le gris domine) mais muet, avec vignettes expliquant ce qui doit l’être. Les sons et les bruitages sont fabriqués à vue sur scène par des musiciens-techniciens absolument remarquables. Ciné-concert, donc. Et déjà, cela vous a un petit air désuet du meilleur effet. Qui introduit la distance propre au théâtre.
Sur le plateau encombré d’instruments de musique hétéroclites (comme un grand parapluie aux couleurs du Danemark), l’on s’affaire à produire les effets musicaux : bruits de chaîne et de serrure lorsque Hamlet se lance à la poursuite du spectre dans un château sinistre à minuit ; coups de tonnerre ; chocs du sac et du ressac des vagues sur les rochers d’Elseneur (un bon kilo de graines agitées fort adroitement dans le fameux parapluie)… Le jeune public (et celui, plus âgé, qui l’accompagne) est médusé, ne sachant où poser ses yeux, attiré de toutes parts et sentant bien qu’on convoque son intelligence et qu’on ne lui donne pas de l’effet spécial poudre aux yeux. Son imagination participe pleinement à la création.
B.D., ciné, percus à la rescousse !
Revenons à ce qui se passe sur l’écran et sur ce que le film raconte. Décors et costumes situent l’intrigue dans un fort militaire du début du xxe siècle comme semblent l’indiquer les transmissions très approximatives qui permettent aux espions de rendre compte et aux personnages de communiquer. C’est Horatio, l’ami fidèle de Hamlet, qui est aux commandes de ces transmissions et assure la conservation des informations sur pellicule. C’est donc son film que sans doute nous voyons ! On pense à l’atmosphère des aventures de Black et Mortimer… À voir ces gros murs gris et les hommes sanglés dans leurs uniformes traverser de longs couloirs, il doit faire froid ! Mais si l’on frissonne, c’est aussi de peur…
Pour terminer, voici une adaptation qui en dit plus long sur l’auteur et sur le drame que bien des interprétations fidèles et poussiéreuses. On ne trompe pas facilement le jeune public. Or, la grande salle de la Croix-Rousse qui doit comprendre un demi-millier de spectateurs a suivi comme un seul homme les aventures de Sumerman [pardon, (Super) Hamlet], c’est-à-dire Hamlet déguisé en Superman de bazar pour la scène finale. Ce spectacle est une ode à l’intelligence et à l’imagination. Pétri d’humour, il multiplie les références sans jamais lasser ni peser, donne de l’émotion et rend accessible sans démagogie une des plus grandes pièces du répertoire à des enfants qu’il prend pour ce qu’ils sont : des personnes intelligentes et sensibles.
« Hansel et Gretel », la Cordonnerie prend le conte à l’envers
Au Nouveau Théâtre de Montreuil (CDN) se joue jusqu’au 14 février un Hansel et Gretel tout public absolument génial. Génial oui, car tout inverser dans ce conte de Grimm est une idée brillante comme un feu de Bengale.
Note de la rédaction : ★★★★★
Cinéma, théâtre. Théâtre ou cinéma ? Pourquoi choisir quand La Cordonnerie vous offre un deux en un incroyablement ingénieux. Sur scène, le plateau est plein : un piano, deux pupitres remplis de trucs et astuces, un soubassophone. On est ici au musée du doublage sonore. Tout est là pour bricoler un bruit, et il en faudra des tonnes.
Des tonnes oui, car sous nos yeux après une entrée en matière digne du music-hall, se déroule le film de la vie de Jacob (Samuel Hercule), fils des célèbres magiciens Hansel (Michel Crémadès) et Gretel (Manuela Gourary), qui récemment virés de La piste aux étoiles squattent la caravane de leur progéniture. Ce mini-cirque vit de l’œuf que pond la poule de la « maison » et de beaucoup d’amour. Jusqu’au jour où une mystérieuse Barbara (Métilde Weyergans) aux yeux bandés vient semer le trouble…
Tout ici est question d’inversion. Sur cette scène de théâtre l’image vient de l’écran, le son vient de la scène et dans le conte, ce sont les enfants qui abandonnent leurs parents en pleine forêt. Cela permet de faire passer un message d’une lourde violence : les enfants veulent, parfois, jeter leurs parents. La fonction expiatrice du conte est ici parfaitement respectée et pour la diffuser, nous assistons ébahis à la construction d’un montage sonore de film.
Un paquet de pâtes vide est froissé et voici qu’à l’écran on voit un œuf sur la poêle. Des négatifs sont posés au sol, les comédiens les écrasent et nous voyons Hansel, Gretel, Jacob et Barbara marcher dans la forêt. Samuel Hercule et Métilde Weyergans sont sur scène accompagnés de deux musiciens, Timothée Jolly et Florie Perroud. A eux quatre, ils forment un univers sonore digne des plus grosses prod de cinéma.
Ils prouvent que l’on peut faire beaucoup avec des idées très poétiques, que de bric et de broc on transforme un aquarium en lac immense. Ce voyage dans le passé à l’esthétique seventies et aux outils vintage vient poser des questions très actuelles sur la filiation et la solidarité entre les générations.
Un bijou vivifiant !
La méthode La Cordonnerie
Un huis clos maritime et nordique qui raconte le passage à l’âge adulte d’un jeune prince : voilà comment La Cordonnerie présente son ciné-concert théâtralisé « (super) Hamlet ». Un spectacle coup de coeur imaginé par une compagnie à l’univers passionnant et intelligent.
(super) Hamlet – Samuel Hercule – La Cordonnerie
Depuis 1996, la Cordonnerie de Samuel Hercule s’illustre dans la confection de spectacles originaux à destination du tout public. Des ciné-concerts théâtralisés pensés de A à Z, de la réalisation du film à sa transposition musicale sur scène, pour un travail qui s’est affiné avec le temps, les dernières propositions conservant paradoxalement cet esprit artisanal des débuts tout en étant réalisées avec un souci de précision incroyable. Les images sont ainsi tournées en amont par l’équipe, suivant un schéma bien précis. Un prémontage est alors établi, servant de base pour les répétitions. Là, les musiciens-acteurs affinent la narration, précisent le découpage des scènes, calent les différentes parties. Pour un résultat habile où ce qu’il se passe sur le plateau ne sert pas simplement de faire-valoir à l’écran : la narratrice Métilde Weyergans, arrivée plus tard dans l’aventure, parvient ainsi à retenir l’attention des spectateurs, et à guider adroitement leurs regards vers ses camarades de jeu, leurs instruments et leurs nombreux objets produisant des sons en tout genre. Depuis la création de la compagnie, on a pu découvrir plusieurs de leur travaux à l’Hexagone de Meylan ou à la Rampe d’échirolles : La Barbe bleue en 2004, Ali Baba et les 40 voleurs en 2006, ou encore L’éternelle fiancée du Docteur Frankenstein la saison passée.
Seul contre tous
Car la compagnie, bien qu’elle s’adresse autant aux enfants qu’à leurs parents, opte pour des thèmes pouvant résonner avec l’univers du jeune public. Ce qui ne signifie pas des oeuvres infantiles, au contraire, Samuel Hercule choisissant la plupart du temps des sujets très sombres où la mort rode, et où les sentiments les plus nobles côtoient les plus vils ; ce qui est d’ailleurs souvent le cas dans les grands contes du répertoire, l’apprentissage de la peur et de sa maîtrise étant nécessaire à la construction de l’enfant. Que La Cordonnerie, pour son nouveau spectacle, ait décidé de s’attaquer au mythe shakespearien d’Hamlet prend donc un sens tout particulier, les grandes pièces de Shakespeare ayant déjà été transposées en conte par les Anglais Charles et Mary Lamb au début du XIXe siècle. L’histoire de ce fils voyant le fantôme de son père revenir lui expliquer qu’il a été tué par son frère, le nouveau mari de sa femme, a même inspiré des longs-métrages d’animation grand public comme Le Roi lion. Tout en restant fidèle à l’architecture et l’esprit de la pièce initiale, qu’il a néanmoins adaptée, Samuel Hercule a transformé Hamlet en super-héros. » Dans la pièce de Shakespeare, c’est déjà un peu ça, avec Hamlet seul contre tous, qui est le seul à voir des fantômes. »
Pour et avec tous
L’une des premières images du film : la mer grise et houleuse annonciatrice de drames à venir. Sur scène, des grains de riz se baladent dans un parapluie retourné et sonorisé, pour figurer la houle. Plus tard, un combat d’épées sur la plage sera bruité avec des ustensiles de cuisine. Entre les deux tableaux, la tragédie shakespearienne sera donnée au public, avec une approche poétique de l’image et du son ; grâce notamment à l’apport d’un piano et de percussions. Un spectacle qui témoigne du talent de la compagnie dans la fabrique d’univers évocateurs et sensibles, et qui captive les jeunes spectateurs tout en enchantant les adultes. Nous avons ainsi découvert ce (super) Hamlet lors d’une représentation scolaire, à Villefontaine : il était sidérant de constater le niveau d’écoute d’une salle pourtant pleine à craquer. Comme quoi, quand des créations intelligentes font preuve d’un véritable respect pour le jeune public tout en refusant la carte de la facilité, les enfants savent apprécier.