Les Trois Coups (12/2016)

 

Ne vous risquez pas à aller voir « Hansel et Gretel » si vous êtes un puriste. Le conte revisité par La Cordonnerie, s’il emprunte quelques détails évocateurs aux frères Grimm, prend de grandes libertés avec l’original. Ce faisant, Métilde Weyergans et Samuel Hercule nous délivrent un message inattendu et poétique. Et nécessaire.

On pourrait appeler cela une (ou plutôt des) transposition(s) dans le temps, dans l’espace et entre les générations : l’histoire de Jacob, grand et gentil garçon qui a dépassé la trentaine sans arriver à grand-chose dans la vie : ni vie amoureuse ni expérience professionnelle à son palmarès. Aussi quand ses magiciens de parents, dénommés Hansel et Gretel, anciennes stars de « la Piste aux étoiles » poussés par la misère d’une retraite d’artistes dérisoire, viennent frapper à la porte de sa caravane, les héberge-t‑il.

Mais c’est compter sans les flèches du petit dieu aveugle : Jacob tombe dans le piège tendu par la froide et calculatrice Barbara, ogresse de son état… qui le convainc d’abandonner ses parents dans la forêt.

L’histoire se déroule dans les années 1980, dans une France où l’on regarde encore la télévision en noir et blanc. Malgré toutes ces libertés prises avec l’original par les deux « auteurs », Métilde Weyergans et Samuel Hercule, on retrouvera, outre les prénoms du titre, les petits cailloux suivis des morceaux de pain, l’ogresse avec sa devanture tentatrice de sucreries, l’index qu’elle fait tendre à Hansel pour juger de son engraissement, l’acte héroïque de Gretel… et la fin qui finit bien.

Sauf que la morale du conte change du tout au tout : les méchants ne se résument pas à la seule sorcière, ils sont les représentants de ce monde libéral et déshumanisé qui envoie les vieillards à l’asile et conditionne l’octroi des moyens de vivre à un emploi impossible à trouver…

Magie en direct

Mais l’inventivité de La Cordonnerie ne se limite pas au contenu du conte. Invités au théâtre, nous voici face à un grand écran, devant le film qui nous raconte la vie de Jacob, de Hansel et Gretel. Mais un film muet, dont les bruitages et voix sont assurés par les doubles en chair et en os des acteurs sur l’écran. Nous ne détaillerons pas ici la somme d’astuces utilisées pour faire naître à nos oreilles le grésillement de l’œuf (un vulgaire paquet de Cellophane froissé) dans la poêle ou le bruissement des chaussures dans la forêt (de simples pellicules frottées). Métilde Weyergans et Samuel Hercule poussent même le goût du leurre jusqu’à répandre dans la salle une odeur délectable de sucre candi quand Hansel et Gretel arrivent en face de l’étalage à confiseries. Nous ne redirons pas davantage notre admiration devant la minutie et la perfection technique qui rendent l’illusion possible. Chacun des spectacles de cette compagnie démontre un peu plus sa maîtrise dans cet art.

Mais comment ne pas parler de la magie qui se dégage de ce conte filmé ? de l’émotion qu’il suscite ? de l’humour présent dans chaque image ou presque, de la distance… ?

Si l’humour et la distance sont manifestement l’œuvre de Métilde Weyergans et Samuel Hercule qui s’amusent autant qu’ils nous amusent, l’émotion tient beaucoup aux deux comédiens Michel Crémadès et Manuela Gourary, qui semblent tout droit sortis d’un film de Fellini. Ils campent un couple de petits vieux adorables, unis par une complicité et une solidarité sans faille, fragiles, naïfs, innocents, confiants et donc en danger. Leur présence à l’écran et leur regard qui n’a pas subi l’usure du temps, mais reste ébloui et ouvert sur la vie, œuvrent beaucoup pour faire vivre cette histoire. De même que ces détails magnifiques que sont les vers luisants qui s’allument au passage de Hansel et Gretel, comme une contribution de la nature au salut des personnages.

Et puis il y a la musique créée en direct sous nos yeux par les musiciens de haut vol que sont Timothée Jolly et Florie Perroud.

En un mot, ce spectacle fourmille d’intelligence et de poésie, ce qui ne peut exister que grâce à la maîtrise technique parfaite de cette troupe généreuse. Du grand art !