Les3coups.com (02/2014)

Speed « Hamlet »

« Hamlet » pour des enfants à partir de 8 ans ? Le « Hamlet » de Shakespeare ? Vous plaisantez ? Cette pièce sombre et philosophique sur la difficulté d’être qui parle de meurtres en famille et de suicide ? Eh bien non, on ne plaisante pas ! Ou plutôt si : la compagnie La Cordonnerie a pris ce risque fou avec tout ce qu’il faut pour le réussir : de l’humour, de la légèreté, du professionnalisme, de l’intelligence et… des frissons !

La compagnie La Cordonnerie n’en est pas à son premier essai. Elle s’est même donné pour spécialité la réalisation de spectacles destinés au public le plus large possible et rigoureusement multiforme. Inclassables, il sont à la fois (comprenons-nous bien, ils n’« utilisent » pas) du cinéma, du théâtre et de la musique. Et ils ne s’interdisent aucun répertoire, pas plus qu’ils n’édulcorent le propos. Cette fois-ci, donc, c’était Hamlet. Mais en une heure. Light, donc : du célèbre texte élisabéthain ne subsistent que quelques phrases – « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark » ou « être ou ne pas être », les principales, aren’t they ? – et quelques vers « maison » pour l’ambiance, qui font rimer malade avec salades.
Les auteurs metteurs en scène Métilde Weyergans et Samuel Hercule s’offrent quelques libertés, fort drôles, avec le maître : la fin qui se joue sur une plage avec le corps du roi félon traversé de part en part par une épée et qui continue à courir sur le sable comme une vulgaire poule décapitée… Gertrude qui choisit délibérément de boire la coupe de poison à la place de son fils, concession à la sensibilité du jeune public peut-être… Ou Ophélie qui part au couvent au lieu de terminer dans la rivière, laissant possible un éventuel happy end… Mais l’essentiel est là : Shakespeare pour être adapté n’est jamais trahi.

L’imagination au pouvoir

L’histoire, avec les personnages incarnés par des acteurs – Samuel Hercule dans le rôle-titre, Métilde Weyergans dans celui de Gertrude, sa mère, et Philippe Vincenot déjà double puisqu’il incarne à la fois le roi félon et fratricide et le roi assassiné, son fantôme en tout cas –, a été tournée préalablement et nous est projetée. C’est donc un film, en couleurs certes (même si le gris domine) mais muet, avec vignettes expliquant ce qui doit l’être. Les sons et les bruitages sont fabriqués à vue sur scène par des musiciens-techniciens absolument remarquables. Ciné-concert, donc. Et déjà, cela vous a un petit air désuet du meilleur effet. Qui introduit la distance propre au théâtre.
Sur le plateau encombré d’instruments de musique hétéroclites (comme un grand parapluie aux couleurs du Danemark), l’on s’affaire à produire les effets musicaux : bruits de chaîne et de serrure lorsque Hamlet se lance à la poursuite du spectre dans un château sinistre à minuit ; coups de tonnerre ; chocs du sac et du ressac des vagues sur les rochers d’Elseneur (un bon kilo de graines agitées fort adroitement dans le fameux parapluie)… Le jeune public (et celui, plus âgé, qui l’accompagne) est médusé, ne sachant où poser ses yeux, attiré de toutes parts et sentant bien qu’on convoque son intelligence et qu’on ne lui donne pas de l’effet spécial poudre aux yeux. Son imagination participe pleinement à la création.

B.D., ciné, percus à la rescousse !

Revenons à ce qui se passe sur l’écran et sur ce que le film raconte. Décors et costumes situent l’intrigue dans un fort militaire du début du xxe siècle comme semblent l’indiquer les transmissions très approximatives qui permettent aux espions de rendre compte et aux personnages de communiquer. C’est Horatio, l’ami fidèle de Hamlet, qui est aux commandes de ces transmissions et assure la conservation des informations sur pellicule. C’est donc son film que sans doute nous voyons ! On pense à l’atmosphère des aventures de Black et Mortimer… À voir ces gros murs gris et les hommes sanglés dans leurs uniformes traverser de longs couloirs, il doit faire froid ! Mais si l’on frissonne, c’est aussi de peur…
Pour terminer, voici une adaptation qui en dit plus long sur l’auteur et sur le drame que bien des interprétations fidèles et poussiéreuses. On ne trompe pas facilement le jeune public. Or, la grande salle de la Croix-Rousse qui doit comprendre un demi-millier de spectateurs a suivi comme un seul homme les aventures de Sumerman [pardon, (Super) Hamlet], c’est-à-dire Hamlet déguisé en Superman de bazar pour la scène finale. Ce spectacle est une ode à l’intelligence et à l’imagination. Pétri d’humour, il multiplie les références sans jamais lasser ni peser, donne de l’émotion et rend accessible sans démagogie une des plus grandes pièces du répertoire à des enfants qu’il prend pour ce qu’ils sont : des personnes intelligentes et sensibles.