Au Théâtre de la Croix-Rousse, La Cordonnerie s’empare de Shakespeare
Un ciné-spectacle buissonnier et attachant concocté par La Cordonnerie : à voir au Théâtre de la Croix-Rousse cette quinzaine.
Elle a un corps de sportive (elle est pongiste) qu’on ne voit pas ; il a un corps ramolli par une vie sédentaire arrimée à sa machine à écrire, visible. Ils vivent dans des mondes séparés par un pont à hauban et ne devraient jamais se rencontrer. Pourtant, ils vont s’aimer.
Mais ça ne suffira à aboutir à un happy end. Loin de Vérone, au Havre, Romy et Pierre tentent d’aller à l’encontre d’une société hostile voire ségrégationniste. Dans cette nouvelle création de la compagnie La Cordonnerie, née en 1997 — c’est leur huitième ciné-spectacle —, il n’est pas fait de référence explicite à une période historique comme cela avait pu être le cas avec leur Blanche-Neige au temps du Mur de Berlin. Et c’est en partie sa force.
Othello, le chat
Les personnages qu’ont inventé Samuel Hercule et Métilde Weyergans gagnent à être intemporels et « puisqu’il est trop tard pour être raisonnable », les cendres de son père sous le bras, la jeune femme franchira le Rubicon. Cela ne se produit pas sur scène, mais dans un film projeté — que le duo a réalisé— et qu’en direct, durant 1h25, ils bruitent, sonorisent et dialoguent avec deux complices, musiciens et compositeurs.
Ce qu’ils ont précédemment fait fonctionne toujours et s’affine même à la mesure de leur écriture de plus en plus libre. Le récit originel n’a jamais paru aussi loin et c’est heureux. De Shakespeare, il ne reste que cette trame d’un amour impossible et le chat Othello appartenant à Pierre. Quand le feu d’artifice surgit à l’écran, c’est un bruit de couvercle qui claque et le cognement d’un marteau qui le rend audible. De ces petits arrangements avec le réel, la troupe sort une nouvelle fois gagnante.
Nadja Pobel (22/09/2021)