Les Trois Coups (05/2018)

Le classique sans les rides

Après « Blanche-Neige », « Hansel et Gretel » et « Hamlet », Samuel Hercule et Métilde Weyergans passent à la moulinette de leur sagacité et de leur anticonformisme un nouveau monstre sacré de la littérature : « Don Quichotte ». Une de leurs plus belles réussites.

Résumons pour ceux qui ne les connaissent pas. Ces bricoleurs de génie, ces exégètes insolents, ces inventeurs sans limites, extraient le suc d’une œuvre pour en montrer toute l’actualité, avec un immense respect et une complète liberté. Que serait donc aujourd’hui Don Quichotte, le pauvre fou qui se bat contre les moulins à vent ? Quels combats mènerait-il ?

Sans doute un homme du passé, attaché à des valeurs et des objets qui n’ont plus le vent en poupe, les livres par exemple. Et voici notre Don Quichotte, devenu Michel (Miguel ?), soixante-huitard attardé, vieil enfant mal grandi, bibliothécaire engagé dans une course contre la montre pour numériser ses chers ouvrages, jusqu’au grand bug de l’an 2000. Ce dernier fait basculer le misanthrope taiseux dans la folie : le voici en armure aux côtés de Sancho Panza, avec d’autres lubies, d’autres décors, mais le même homme, assurément.

C’est là qu’intervient l’ingéniosité des deux metteurs en scène, également concepteurs et acteurs du spectacle. L’histoire est traitée simultanément sur le plateau par des comédiens en chair et en os et sur grand écran, ce qui permet à la fois de concentrer l’attention sur les émotions et de nous entraîner dans les déserts andalous. Tous les bruitages et doublages sont réalisés à vue, à grand renfort de bouts de bois et vieilles ferrailles. Deux musiciens inventifs, Timothée Jolly et Mathieu Ogier, complètent un dispositif extrêmement précis, malgré des allures foutraques.

Inoubliable Vincenot

Jamais peut-être l’art de Samuel Hercule et Métilde Weyergans n’a paru aussi abouti. Le parallèle entre Michel et Don Quichotte fonctionne à merveille, de même que l’intrigue extravagante se joue sans problèmes d’un décalage de plusieurs siècles. Les hommes perdus, enfermés dans leurs passions, les doux et les timides, sont toujours la proie des moqueurs et des méchants.

Le spectateur est vite ému, voire bouleversé, par la détresse de ceux en décalage avec leur époque et que leurs contemporains ne comprennent plus. D’autant plus que ce personnage est incarné par un comédien magnifique, Philippe Vincenot, dont le talent, la sensibilité et la palette étendue rendent toute la subtilité. Ce spectacle, d’une grande pudeur, prend tous les risques, mais jamais il ne pérore ni ne discourt. Toujours avec distance, humour et tendresse, il nous parle des laissés-pour-compte de la vie, il leur confère une noblesse, certes un peu usurpée, une élégance. Surtout, il nous fait découvrir le sens profond de l’œuvre de Cervantès. Sans une ride.

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