Après Blanche-Neige, Métilde Weyergans et Samuel Hercule mettent leur art du ciné-spectacle au service du célèbre Don Quichotte. Aussi artisanale que technique, leur singulière approche de la scène se prête à une très subtile transposition du mythe.
Vélo égale canne à pêche, lecteur CD égale hélicoptère en plastique, bruit de clavier égale stylo… Incongrues, souvent dignes d’un jeu surréaliste, les équations de Métilde Weyergans et Samuel Hercule préviennent d’emblée : Dans la peau de Don Quichotte entretient avec le roman de Miguel de Cervantes des rapports peu communs. Très libres, volontiers moqueurs mais toujours tendres. Respectueux. Sonorisant en direct et avec toutes sortes d’objets le film muet projeté sur un écran installé en fond de scène, les deux fondateurs de la compagnie La Cordonnerie abordent en effet le mythe avec une astucieuse délicatesse. En transposant son mélange de sublime et de dérisoire au début du XXIème siècle en Picardie. Dans une petite ville si insignifiante qu’« on en oublie toujours le nom », où le taciturne Michel Alonzo (Philippe Vincenot) entreprend la numérisation des collections de la bibliothèque où il travaille. Tâche longue et fastidieuse, qu’il exécute avec un air résigné de Bartleby des temps modernes. Jusqu’au réveillon marquant le passage à l’an 2000 et son basculement dans un désert espagnol fantasmé, en compagnie d’un de ses collègues, un agent d’entretien Cotorep. Au carrefour d’esthétiques et de disciplines diverses, l’hidalgo de la Cordonnerie offre ainsi une belle invitation à l’utopie. Au dialogue créatif.
À cheval entre théâtre et cinéma
Comme le vieux couple de leur Hansel et Gretel (2014), l’adolescente gothique de leur Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin (2016) et les autres personnages de contes et d’œuvres littéraires que se sont approprié Métilde Weyergans et Samuel Hercule en vingt ans de ciné-spectacles, le chevalier de Dans la peau de Don Quichotte et son Sancho Panza posent au monde et au théâtre des questions beaucoup plus sérieuses qu’il n’y paraît. Tragi-comiques, un pied dans le passé, un autre dans le présent, ils interrogent la place du mythe à l’ère du divertissement et celle du théâtre et des rapports humains dans un monde saturé par l’image. Cela sans un seul discours. Par la seule manière dont, accompagnés sur scène par les musiciens Timothée Jolly et Mathier Ogier, les deux metteurs en scène et Philippe Vincenot s’emparent de quelques épisodes du livre de Cervantes. Dans un constant aller-retour entre réel et imaginaire. Entre le centre du plateau où ils rivalisent de réalisme avec le film et leur coin bruitage régulièrement approvisionné en accessoires par un carton monté sur rails. Alors que se multiplient les croisements entre théâtre et cinéma, La Cordonnerie continue de briller en la matière grâce à son art du contraste et du bricolage.
26 janvier 2018