Après Cervantès et Don Quichotte, le collectif La Cordonnerie de Métilde Weyergans et Samuel Hercule s’inspire de Roméo et Juliette et Shakespeare. Un spectacle inventif et délicat tressant théâtre et cinéma qui déploie son imaginaire visuel et sonore sur le plateau intimiste du Théâtre des Abbesses. Stoppé par la Covid-19, il est enfin sur les routes.
“Je vais vous raconter une histoire”, ainsi commence la dernière création de la Cordonnerie, compagnie fondée en duo par Métilde Weyergans et Samuel Hercule, qui s’est fait une spécialité de mêler au plateau théâtre, musique et cinéma au service de récits protéiformes attachants puisant parcimonieusement leurs motifs dans le grand vivier des contes, de la littérature et du répertoire théâtral, en l’occurrence chez Shakespeare comme l’annonce d’emblée le titre de ce nouveau spectacle tout aussi mélancolique et merveilleux que le précédent, Dans la peau de Don Quichotte d’après Cervantès.
De l’auteur élisabéthain et de la tragédie des amants de Vérone il ne reste pourtant pas grand chose finalement, du moins en surface. Mais en creux, infuse en sourdine l’amour impossible de Roméo et Juliette, leur rencontre hasardeuse, la fête et la rixe, les obstacles extérieurs à leur lien… ainsi que ces citations empruntées à l’œuvre du dramaturge, transformées en horoscopes shakespeariens méditatifs, drôles et poétiques. Car au royaume de la Cordonnerie règne la fantaisie aussi, l’humour et l’ingéniosité d’un dispositif opérant à vue le bruitage et la sonorisation en direct du film projeté, réalisé en amont du spectacle. Sur scène, deux temporalités se superposent et dialoguent entre elles tandis qu’à l’écran deux mondes cohabitent séparément, reliés par un pont que personne n’ose jamais franchir : celui de Romy, du côté des “invisibles” au sens propre du terme, celui de Pierre, dans une zone portuaire ordinaire. Jusqu’à ce que la jeune fille transgresse l’interdit suprême et traverse la frontière…
Ne pas finir comme Roméo et Juliette met à nouveau en lumière le savoir-faire pluridisciplinaire et la précision virtuose de cette compagnie qui parvient dans un même geste artistique à tresser technologie et artisanat à travers théâtre et cinéma sans oublier une composition musicale sur mesure, signée à quatre mains par Timothée Jolly et Mathieu Ogier. Une technique merveilleusement rodée faisant appel à une ingéniosité tout terrain mise au service d’un récit sensible et délicat, se déployant sur plusieurs niveaux de réceptions, tel est ce spectacle raffiné et émouvant. Une fable fantastique auréolée de vertus symboliques qui convoque à l’image et au plateau une panoplie d’objets quotidiens constitutifs d’un univers plein de charme suranné. Métilde Weyergans et Samuel Hercule ont le don d’insuffler du rêve dans le concret de leurs actions, de rendre magique les détails, de créer des étincelles de poésie dans les petits riens du récit. C’est tendre, touchant et époustouflant dans sa réalisation.
Marie Plantin (08/10/2021)