Blanche Neige ou la chute du mur de Berlin
Quand la marâtre, pas si marâtre donne son point de vue
Pour Métilde Weyergans et Samuel Hercule, fondateurs de la compagnie lyonnaise La Cordonnerie, les contes sont un riche gisement qui leur permettent de métisser les publics, les arts, l’intime et l’universel, la réalité et la fiction, de soulever par la bande quelques préoccupations actuelles à travers de réjouissantes et singulières chimères scéniques greffées de théâtre, cinéma, musique, bruitages, à regarder au coude à coude, grands et petits.
Après avoir mitonné Hansel et Gretel à la sauce libérale, le duo s’empare de Blanche Neige qu’ils revisitent en mettant l’histoire dans la vie quotidienne du Berlin-Est de la Guerre froide et en donnant la parole à celle qui dans le conte interroge son miroir et empoisonne les pommes et à qui personne n’a jamais demandé sa version des faits. « J’ai quarante-deux ans et mon rôle dans l’histoire, c’est celui de la méchante » nous dit Elisabeth, hôtesse de l’air qui élève seule Blanche sa belle-fille, dont la mère est morte quand elle était au berceau et dont le père, trapéziste, est parti depuis des années pour travailler dans un cirque en URSS. Elles vivent au dernier étage d’une cité HLM située à l’orée d’un bois. Nous sommes en 1989 et Blanche est une belle et rebelle ado, enfermée dans son monde qui regarde la vie et sa belle-mère en faisant des bulles de chewing-gum, son walkman collé aux oreilles, fugue dans le bois voisin où elle installe sa tente. Quant à Elisabeth, lorsque rentrant harassée, elle se regarde dans le miroir de la salle bain, décelant quelques griffes du temps, comment ne lui entendrait-elle pas lui dire que Blanche, joli papillon tout juste sorti de sa chrysalide, est bien plus belle qu’elle !….
Accompagnés en direct par deux musiciens virtuoses poly-instrumentistes (Florie Perroud et Thimothée Jolly), Métilde Weyergans, Elisabeth et fil conducteur de l’histoire, Samuel Hercule aux bruitages et aux voix masculines interprètent en scène le film muet qu’ils ont écrit et réalisé, secondés par d’excellents acteurs, notamment Valentine Cadic dans le rôle de Blanche. L’histoire filmée et la scène se conjuguent étroitement en un « ciné-spectacle » sous haute tension, bourré de trouvailles sonores et visuelles, tissé d’art et de bricolages, d’humour et de subtilité. Un spectacle total, drôle et à fleur d’humanité, qui nous parle de l’abandon, des difficiles relations mère-fille et des murs qui s’érigent entre les êtres si on n’y prend pas garde. À voir de 8 à 108 ans ! Après Paris, le spectacle sera présenté en tournée, ne le ratez pas, il vaut le détour.